Alain Pompidou : le sens de la dignité

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 Rédactionnel.

Bien plus que le fils du successeur du Général de Gaulle, Alain Pompidou fut constant dans ses engagements et parvint à être utile à sa manière. Grand respect de ceux qui l’ont connu…

 

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Le professeur Alain Pompidou s’est éteint ce jeudi 12 décembre 2024. J’aimerais vous dire quelques mots au sujet de ce grand homme que je considère, malgré la différence d’âge et sans être un intime, comme un véritable ami.

 

L’homme de sciences

 

Ayant découvert sa vocation à Château-Gontier auprès de son grand-père maternel Pierre Cahour, Alain Pompidou faisait partie de ce cercle des médecins politiquement engagés dans le néo-gaullisme, dans les pas du fondateur de la pédiatrie Robert Debré, père de Michel, avec des figures de proue comme Christian Cabrol, plus récemment Jean-Michel Dubernard et Bernard Accoyer en Rhône-Alpes, sans oublier Alain Meyrieux que l’on peut aussi classer dans cette catégorie, bien que diplômé en pharmacie et non en médecine.

Détenteur d’un triple doctorat (Médecine, Sciences et Biologie humaine), professeur émérite à la Faculté de Médecine René Descartes (Paris V) depuis 1974, Alain Pompidou avait décidé de consacrer sa vie non pas à l’exercice de la médecine de ville (activité dans laquelle il aurait, selon son épouse Nicole, excellé), mais essentiellement à l’enseignement et à la recherche dans trois domaines : l’histologie (l’étude des tissus biologiques), l’embryologie (l’étude du développement des organismes à partir de l’œuf fécondé jusqu’à sa forme définitive) de la cytogénétique (l’étude des phénomènes génétiques au niveau des chromosomes contenus dans le noyau cellulaire).

Il exerça de 1974 à 2004 au Groupe Hospitalier Cochin et en 2019 s’inscrivit dans les pas de sa mère, Claude Pompidou, en accédant la Présidence de la Fondation Claude Pompidou, qu’il transmit à son tour à Claude Chirac en 2022.

Je saisis l’occasion de cette évocation pour rappeler le travail de la Fondation, un travail exceptionnel, méritoire et qui tout simplement force le respect. Claude Pompidou fut en France la première épouse de Président de la République à créer une fondation pour celles et ceux qui en ont cruellement besoin. Les vrais oubliés de la société : les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et celles touchées par la maladie d’Alzheimer. Qui n’est pas concerné dans sa propre famille par ces sujets si douloureux ?

Et ce n’est pas rien : 13 établissements accueillant plus de 1.000 personnes, un institut construit en 2024 en partenariat avec le CHU, 100.000 euros remis chaque année à une équipe de chercheurs sur la maladie d’Alzheimer destinés à l’acquisition de matériel technologique de haute performance, sans oublier l’animation d’un réseau de plus d’un millier de bénévoles repartis sur l’ensemble du territoire national, qui viennent s’occuper des nôtres, sans la moindre contrepartie financière, pendant que nous-mêmes sommes accaparés par les obligations organisationnelles de la vie quotidienne.

Sur ce sujet, cet hommage à Alain Pompidou s’étend à Richard Hutin, le Directeur général de la Fondation et à ses équipes pour tout le travail accompli, avec une pensée toute particulière pour sa regrettée épouse Patricia Demeure, grande femme de cœur à laquelle le souvenir pompidolien doit énormément, et pour ma part une grande amie qui me manque beaucoup.

 

Dans le prolongement politique du père

 

Impossible en ce jour de ne pas vous parler d’Alain le politique. Mais pas forcément au sens où nous entendons communément ce mot.

Certes, Alain Pompidou siégea durant deux mandats au Parlement européen, entre 1989 et 1999, successivement élu sur les listes menées par les binômes Valéry Giscard d’Estaing-Alain Juppé, puis Dominique Baudis-Hélène Carrère d’Encausse. Certes, il intégra à deux reprises des cabinets ministériels, à l’occasion des deux premières cohabitations. Certes, il remplit de 2004 à 2011 plusieurs missions exécutives internationales, qui plus est sur des sujets hautement stratégiques, à travers ses présidences successives de l’Office Européen des Brevets, puis de la Commission mondiale d’Éthique de la Science et de la Technologie de l’UNESCO.

Mais avant toute chose, Alain Pompidou était le dépositaire d’un de ces grands noms de la République, qui font que vous ne pouvez pas tracer votre propre chemin en en faisant abstraction.

Il en avait parfaitement conscience et dès qu’il fut libéré de ses obligations internationales, Alain Pompidou s’investit pleinement afin que paraissent en 2012 les Lettres, notes et portraits / 1928-1974, issus essentiellement de la correspondance privée que son père avait entretenue jusqu’à sa mort avec son ami de jeunesse Robert Pujol.

Alain parlait de Georges avec sa propre grammaire, celle de la bienveillance filiale vis-à-vis de l’homme, teintée d’un profond respect envers l’incarnation de la fonction présidentielle.

Nous l’avions reçu à deux occasions à Levallois, en 2005 puis en 2007.

Certaines de ses anecdotes avaient un effet garanti, surtout lorsqu’elles se situaient au croisement de l’Histoire et de l’intime. Je pense tout particulièrement à celle par laquelle Alain nous expliqua que durant les années cinquante et soixante, sa mère n’en pouvait plus des récitations poétiques après le déjeuner dominical, de celui qui allait devenir président, dont il retira en 1961 une Anthologie de la Poésie Française, devenue par la suite un grand classique, chaudement recommandé par bien des professeurs de Français.

Sans oublier bien évidemment cette scène qu’Alain avec toute son espièglerie, vous faisait revivre comme si vous y étiez.

Mars 1962. Paris. Appartement du Quai de Béthune. Pas encore vingt ans et sur le moment totalement investi dans ses études de médecine, le jeune Alain voit son père rentré plus tôt que prévu, et expliquer à son épouse Claude que le Général de Gaulle songe à le nommer à Matignon en remplacement de Michel Debré. Réponse de Madame : « Georges, c’est non ! ». Et aux dires d’Alain, il fallut alors plusieurs heures à celui qui allait occuper le plus longuement le poste de Premier ministre (cinq ans) – mais à ce moment-là bien embêté comme tout mari confronté à un cri du cœur de son épouse – pour parlementer et trouver l’argument imparable qui allait la faire revenir sur son opposition initiale : on ne peut rien refuser au Général de Gaulle.

Je garde en mémoire deux moments forts des venues d’Alain à Levallois, au cours desquels l’humour fit soudainement place à une dimension bien plus profonde. Tout d’abord, un témoignage inédit de la romancière Anne Goscinny avec laquelle il partageait ce jour-là l’affiche, sur cette terrible journée du 2 avril 1974 et sur la manière dont on l’avait vécu dans son propre foyer. Alain n’en savait rien ; j’ai vu alors son regard s’humidifier.

Deuxième grand moment de sincérité. En réponse à une question de l’assistance sur le thème « avec un nom aussi prestigieux, pourquoi ne vous êtes-vous pas lancé dans une carrière politique plus ambitieuse ? », Alain alla tout de suite à l’essentiel avec ce genre de déclaration de respect filial propre à celles et ceux qui aiment tendrement leur père. Je reconstitue ici de mémoire (plus neuf ans après) sa réponse dont je ne certifie pas l’exactitude des mots, mais bien la précision du sens général :

« Je porte le nom de Pompidou. Si ma vie m’avait amené à exercer des fonctions politiques de premier ordre, mes résultats auraient forcément été comparés à l’œuvre de mon père. Soit j’aurais fait mieux, ce qui me semble bien improbable. Soit mon bilan se serait établi en deçà de ses propres réalisations. Dans un cas comme dans l’autre, mon action aurait alors desservi l’image que les Français gardent en mémoire de notre nom et de l’œuvre de mon père. Aussi, je décidai ne pas chercher à aller plus loin dans ce domaine. ».

En fait, son accessibilité, sa simplicité de caractère et tout simplement sa gentillesse faisaient qu’on oubliait parfois qu’il y avait un caractère tragique dans le destin d’Alain Pompidou : renoncer à pousser aussi loin qu’il l’aurait voulu certains engagements, certaines passions, par préservation d’un nom qui l’honore. Même dégagés de l’immédiateté des soucis matériels, les enfants des grands hommes auxquels nous sommes redevables, sont bien moins libres qu’on ne le pense, même à l’âge adulte.

 

Etre à la hauteur : l’épreuve du 2 avril 1974

 

Le cours tragique de l’existence, Alain jeune médecin s’en rendit compte à coup sûr en ce premier semestre 1974, alors que la France entière s’interrogeait sur la maladie qui rongeait son père. Moins de deux mois avant l’issue fatale, le vendredi 8 février 1974, Georges Pompidou lui fit parvenir le mot suivant :

« Mon cher Alain. Il vaut mieux que tu ne passes pas me voir en allant à la Faculté. Il y a des « observateurs ». S’ils te voient trop souvent, ils en concluront que c’est toi qui me « suis » sur le plan médical et, dès lors, tu seras surveillé, embêté et même, à l’occasion, suivi. Si j’ai besoin de toi, je te téléphonerais bien entendu. Par contre il serait bon, si tu peux le lui faire dire, sans te déranger, que Vignalou [NDLR : le Professeur Jean Vignalou, le médecin traitant de Georges Pompidou] passe cet après-midi ou demain à n’importe quel moment qui l’arrange, uniquement pour « être vu ». A ce soir. Papa. ».

Au même moment, alors que les Français n’avaient pas encore compris que les Trente Glorieuses abordaient leur crépuscule, la Présidence de la République et le Gouvernement inauguraient Roissy, le Périphérique parisien et décidait de la construction du parc nucléaire civil qui aujourd’hui encore garanti notre indépendance énergétique.

Bref, au regard du principal intéressé, il aurait été impensable que la France s’arrête en raison de son calvaire, surtout dans cette situation d’urgence de l’immédiat après premier choc pétrolier.

Alain dut faire avec. Et comme le rappela dans son ouvrage La tragédie du pouvoir, le Président d’honneur de notre Institut, l’Institut Georges Pompidou, Edouard Balladur, alors Secrétaire Général de l’Élysée (c’est lui qui à 20 heures le 2 avril 1974 appela Alain Poher pour lui transmettre les pouvoirs présidentiels intérimaires et qui rédigea le communiqué de presse laconique annonçant la mort du Chef de l’Etat, que certains d’entre vous découvrirent vers 22 heures en regardant le film diffusé ce soir-là sur l’une des trois chaînes de télévision), assista à la solitude d’un jeune homme d’une extraordinaire dignité, probablement confronté au dilemme intérieur entre le deuil d’une Nation et la souffrance indicible de la perte du père.

Au moment précis où Georges Pompidou s’éteint dans sa chambre du quai de Béthune, Alain que l’on imagine déchiré par la douleur, a malgré tout la présence d’esprit de récupérer le médaillon que portait sur lui son père depuis 1969 et sur lequel figuraient les codes militaires de déclenchement du feu nucléaire, pour les remettre sans plus tarder au Premier ministre Pierre Messmer.

Edouard Balladur : « [le 2 avril 1974 en fin de soirée] je reçois Alain Pompidou, venu à l’Elysée, toujours calme, dominant son émotion, attaché à accomplir jusqu’au bout son devoir envers son père. J’ouvre devant lui l’enveloppe que Georges Pompidou m’avait confiée au début de janvier. Il m’avait alors dit qu’elle contenait son testament, ses dernières volontés, et un certain nombre de papiers personnels destinés aux siens […] Pour ce qui est de son testament, Juillet [Pierre Juillet, conseiller politique « de l’ombre » du président aux côtés de Marie-France Garaud] lui demande de l’ouvrir devant nous ; il le fait, le parcourt, nous dit qu’il ne contient rien de politique. Juillet lui demande de le lire à haute voix. Je proteste. Alain Pompidou commence à le faire ; je l’interromps et lui demande de ne pas continuer. ».

 

A celui qui ne m’a jamais pris de haut

 

Difficile de conclure à l’issue d’un témoignage aussi poignant, de peur de dire le mot de trop. Si ce n’est un complément purement personnel.

Lorsque jeudi soir de la semaine dernière j’ai été informé de son décès, je me suis rendu compte que je connaissais Alain Pompidou depuis plus de douze ans, et qu’au fil du temps nos relations avaient évolué pour passer d’un respect bienveillant intergénérationnel, à une plus forte complicité.

Deux longues conversations téléphoniques me reviennent en tête. L’une du samedi 22 avril 2017 où nous avons longuement débattu et échanger nos vues respectives sur ce qu’il convenait de faire au premier tour de l’élection présidentielle, compte-tenu de l’émergence d’une force centrale inhabituelle par rapport à la logique bipartisane à laquelle conduit de fait la mécanique institutionnelle propre à la Cinquième République. Une seconde conversation, cinq ans plus tard pratiquement jour pour jour, en avril 2022, mais cette fois-ci sur un sujet autrement plus personnel, pour lequel j’avais alors besoin de son éclairage de professionnel.

Sans que j’en ai eu préalablement conscience, le fait que nos routes se soient croisées offre une belle illustration à la démonstration de l’homme de lettres Charles Pépin dans son ouvrage La rencontre, une philosophie :

« Quand on prend la mesure de l’importance des rencontres, on porte un autre regard sur les œuvres qui nous nourrissent, sur notre vie même. Nous sommes dépendants des autres. La rencontre n’est pas un agrément, une alternative accessoire, elle nous est essentielle, elle modèle notre personnalité ; elle est au cœur de l’aventure de notre existence. ».

Ce théorème du philosophe Charles Pépin se vérifie pour TOUTES les vraies rencontres (et j’insiste sur cet épithète), tant qu’elles entraînent en nous une résonance, qu’elles nous élèvent et nous amènent à devenir la meilleure version de nous-mêmes. Toutes ces rencontres essentielles, autant celles avec les plus humbles, que celles avec de grands noms qui, parfois, nous ont au préalable fait rêver.

Imaginez un instant ce que peut représenter pour une personne comme moi, le fait d’avoir gagné la considération d’un homme, dont j’eus appris, gamin, le nom dans les livres d’Histoire, et dont la simple évocation (à peine quelques années plus tard) me valait généralement de la part de mes interlocuteurs généralement plus âgés que moi, cette réaction spontanée : « du temps de Monsieur Pompidou, il n’y a pas à dire, c’était mieux », sous-entendu « on était bien plus heureux ».

Cette confiance-là vaut mille médailles. Encore plus parce qu’elle s’attache à une famille dont le leitmotiv et l’essence-même du devoir furent le bonheur du plus grand nombre.

Réfléchissant au temps dont l’œuvre nous dépasse ainsi qu’aux belles âmes qui peuplent mon passé comme à coups sûrs le vôtre, je ne puis m’empêcher de penser que nous nous avérerons être à la hauteur de leur mémoire, le jour où nous aurons accompli à travers nos propres chemins de vie, ce pourquoi nous savons au fond de nous-mêmes que nous sommes ici-bas sur cette terre.

 

Pour en savoir plus – Interview d’Alain Pompidou sur RCJ

 

Photos : légendes et crédits

Toutes les photos présentement exposées sont libres de droits et/ou tombées dans le domaine public. Dans le cas contraire, les droits pour la présente utilisation ont été dument et préalablement acquis.

Photo n°1 (ouverture) – Alain Pompidou et Stéphane Jacquemet – Paris – Jeudi 19 décembre 2019 – © Collection privée Stéphane Jacquemet – Photographe : Bernard Lachaud

Photos n°2, 4 et 7 – Levallois – Vendredi 10 mars 2017 – © Collection privée Stéphane Jacquemet – Photographe : Edouard Meyer (Deyer’s Studio)

Photo n°3 – Georges et Alain Pompidou – Date et lieu indéterminés – © Collection privée Alain Pompidou – Photographe : inconnu

Photo n°5 – Edouard Balladur – Bruxelles – 10 juin 1993 – © Union Européenne – Photographe : European Communities, 1993 / EC – Audiovisual Service

Photo n°6 – Dédicace personnelle – 17 novembre 2016 – © Collection privée Stéphane Jacquemet

 

Ordre de passage des témoignages audios du 10 mars 2017

Les titres et fonctions indiqués correspondent à ceux en vigueur à la date d’enregistrement (10 mars 2017)

Anne Goscinny (début à 00m03s)
Alain Pompidou (début à 00m58s)
Stéphane Jacquemet (début à 01m42s)
Patrick Jourdin, Président (2016-2017) du Rotary Levallois (début à 02m12s)
Nicole Pompidou (début à 02m19s)
Jean-Yves Cavallini, adjoint au Maire de Levallois (début à 03m12s)
Aymar du Chatenet, chef d’entreprise (début à 03m33s)
Laurent de Gaulle (début à 04m18s)
François-Xavier Bieuville, adjoint au Maire de Levallois (début à 05m21s)
Loïc Leprince-Ringuet, chef d’entreprise (début à 06m17s)
Christine Sainz, juge consulaire (début à 06m52s)

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