Rédactionnel.
Les talents et soutiens convergent vers nous lorsque nous leur matérialisons notre confiance. Capter cette valeur en vue de l’excellence nécessite de savoir investir intelligemment…
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Les leçons d’entrepreneuriat les plus valables émanent de ceux qui les ont personnellement vécues. Encore plus lorsqu’elles concernent le nerf de la guerre pour tout chef d’entreprise : l’argent.
C’est pourquoi, quand l’homme qui a imposé la marque James Bond au monde entier (3 milliards de spectateurs et donc de clients à travers le monde), Albert R. Broccoli, établit une distinction très nette entre investissements et dépenses, il serait judicieux de l’écouter avec attention.
Tout sauf une cigale, le père cinématographique de 007 avait une vigilance absolue au sujet de sa trésorerie. On le comprend aisément ; les échecs de Avalanche (1946) et de The Trials of Oscar Wilde (1959) avaient mis sur la paille cet ami d’Howard Hughes et de Cary Grant, au point d’en être réduit à vendre des sapins de Noël sur Wilshire Boulevard à Los Angeles, non pour se refaire financièrement mais tout simplement pour survivre.
Et pourtant, alors qu’il peinait au début des sixities à réunir la mise de fond initiale pour Docteur No, ce pugnace fils de cuisinière estimait que l’impératif de saine et bonne gestion peut à l’excès mettre l’entreprise en danger, en la plaçant dans une logique court-termiste. Il y a effectivement un monde entre la prudence et le « gagne-petit ». Ce monde a un nom : la confiance. En entreprise, celle des fameux stakeholders – ces parties prenantes, clients, fournisseurs, salariés et actionnaires – dont l’adhésion conditionne grandement la réussite du projet entrepreneurial, qu’il s’agisse d’un film, d’un commerce de proximité ou d’une start-up du digital.
Motivés par la quête du chiffre d’affaires, les primo-créateurs commettent trop souvent l’erreur de se focaliser exclusivement sur leurs clients et prospects. Certes, la conversion commerciale incarne le sésame de la réussite commerciale. Il n’en demeure pas moins que sans fournisseurs de qualité, ni collaborateurs de talent, impossible de convaincre les clients des premiers jours d’abonder le compte 706 dans la durée. Or qui peut imaginer offrir à son marché l’excellence, en sous-payant de 30% ses collaborateurs, ou en demandant à ses fournisseurs de lui offrir la TVA, au point de réduire à peau de chagrin leurs propres marges bénéficiaires ?
Les talents et soutiens ne viennent jamais à nous par enchantement, mais seulement parce qu’ils se sont forgés l’intime conviction que nous leur offrons des perspectives tangibles et mesurables. S’il est exceptionnel, payer un collaborateur ou un fournisseur 20% plus cher que la moyenne – à la condition bien évidemment d’en avoir les moyens et d’adapter ses propres prix en conséquence – revient tout simplement à se donner les moyens de le fidéliser et adopter un positionnement de haut de gamme. L’entreprise y est-elle perdante ? Certainement pas, car la perte d’un fournisseur stratégique peut s’avérer autrement plus périlleuse que celle de clients acquis à prix discountés.
Aux prémices de la révolution automobile, le génial Henry Ford avait déjà mis en pratique cette approche à travers la théorie du salaire d’efficience, qui permit à ses ouvriers d’acquérir les automobiles qu’eux-mêmes produisaient… et donc de devenir les nouveaux clients de la Ford Company ! Depuis 1962, Albert R. Broccoli puis sa fille Barbara ont adopté cette vision fordiste propre aux vraies entreprises familiales qui fondent un capitalisme durable. Tous leurs fournisseurs dont l’excellence a permis à la magie James Bond d’opérer (John Barry pour la musique, Ken Adams pour les décors, Maurice Binder pour les génériques et bien d’autres) leur ont été fidèles pendant des décennies.
Bien en a pris au clan Broccoli. En 2012, pour 200 millions de dollars de budget, l’avant-dernier opus de la série Skyfall avec Daniel Craig a généré 1 milliard de dollars de recettes en salle. Autrement dit, ce film équivaut à une entreprise réalisant 80% de bénéfices ; joli, tout de même !
Donc un seul conseil aux intrépides de l’initiative économique : inscrivez-vous dans les pas de cette famille d’immigrés italiens, dont les premiers faits d’armes entrepreneuriaux ont consisté en 1870 à introduire le choux de brocoli dans l’agriculture américaine. Un siècle et demi après, on en mange toujours…
Photos : légendes et crédits
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Photo n°1 – Albert R. Broccoli en 1976 – © Photographe : Colin Dangaard.