Ukraine : Poutine ressuscite la guerre fraîche

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 Rédactionnel.

Légalement illégitime, moralement insoutenable, l’invasion de l’Ukraine porte en elle les germes du spectre d’une déstabilisation de l’Occident qu’il va falloir plus que contenir…

 

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Exercice militaire russe dans l'Oblast de Nijni Novgorod.

Exercice militaire russe dans l’Oblast de Nijni Novgorod.

 

Vladimir Poutine aura finalement franchi le Rubicon.

Se plaçant sciemment dans les pas de cet autre monstre à sang-froid que fut son inspirateur par procuration Leonid Brejnev, l’ancien agent du KGB surpasse aujourd’hui outrageusement son maitre, en prenant l’initiative d’un coup de poker militaire qui bien que ce scénario ne soit pas encore à cette heure le plus probable, pourrait davantage s’apparenter au Dantzig de septembre 1939, qu’à la prise de Kaboul dans la nuit de Noël 1979.

On a beau ne pas vouloir jouer les Cassandres, la sincérité oblige à admettre que des heures sombres, très sombres, s’annoncent. Bien évidemment avant tout à 2.000 kilomètres de Paris. Mais aussi, il ne faut pas se voiler la face, ici en France, pour l’avenir de nos enfants.

 

D’un point de vue wilsonien : une faute impardonnable

 

L’Ukraine est un pays libre et indépendant en bien des points comparable à la France, où la démocratie s’accomplit à travers des alternances politiques constatées dans les faits par la voie du suffrage universel et d’un régime présidentiel direct.

Les sondages d’opinion indiquent de manière constante depuis plusieurs semaines, que 60% de la population ukrainienne soutient son gouvernement dans sa volonté de voir leur pays rejoindre l’OTAN qui, rappelons-le, reste avant tout un traité astreignant ses signataires au devoir d’assistance militaire mutuelle en cas d’agression. Une alliance uniquement à des fins défensives. Presque jamais offensives. En dépit de quelques très rares interventions en amont de conflits, essentiellement au Kosovo, le traité n’oblige en rien sur ce point. A ce stade de la crise que nous vivons actuellement, ce fait doit impérativement être rappelé, afin de rétablir quelques vérités essentielles.

La population française bénéficie de cette protection ultime depuis 1949, sans d’ailleurs que cette entente contractuelle ait empêché nos gouvernements successifs – tous sans la moindre exception depuis 1958 – de développer une politique étrangère indépendante des États-Unis d’Amérique. Les Polonais, les Hongrois, les Tchèques… en clair tous les anciens satellites européens de l’ex-Union soviétique bénéficient de ce bouclier depuis une vingtaine d’années. En quoi aurions-nous le droit aujourd’hui de le refuser aux quarante-quatre millions d’habitants de l’Ukraine ?

En outre, l’État ukrainien ne représente une menace sécuritaire pour personne. Ni pour d’autres États à l’inverse de ce que fut l’Afghanistan du Mollah Omar en 2001 responsable des 4.000 morts du 11 septembre. Ni pour sa propre population au contraire du régime libyen de Mouammar Kadhafi, qui s’apprêtait en 2011 à exterminer en masse ses opposants internes, incontestablement majoritaires au moment du printemps arabe.

Rien de comparable dans la situation présente. Aucun motif acceptable d’un point de vue humain ne permet d’asseoir sur une once de justification la fuite en avant du Kremlin. Même pas l’argument au demeurant fort spécieux – nous l’avons vu par le passé – d’une guerre préventive.

 

Sous l’angle de la Realpolitik : l’ubris du chaos

 

La reconnaissance de l’intégrité territoriale des États-nations reste l’alpha et l’oméga, le ferment, de l’équilibre de l’ordre mondial. L’ébrécher représente le plus sûr moyen de le faire rompre à tout moment, avec des conséquences potentielles dont l’ampleur ferait passer la crise sanitaire mondiale que nous subissons depuis deux ans, pour une simple mésaventure.

C’est justement le souci de ne pas exposer nos populations françaises, européennes et américaines à de tels risques systémiques, qui a fait que pendant vingt ans, au grand dam des plus idéalistes et humanistes d’entre nous, l’Occident a fermé les yeux sur les exactions de la Russie poutienne directement en Tchétchénie, puis indirectement par le biais d’alliance diplomatique en Syrie. Officiellement un demi-million de morts, soit à peu près l’équivalent du dixième du bilan macabre de la Shoah, ou d’un quart de la population communale de Paris.

Aujourd’hui, l’Occident ne peut plus se permettre de ne pas réagir vigoureusement, et Vladimir Poutine le sait parfaitement.

Les dirigeants des seules nations occidentales qui comptent sur le plan militaire à l’échelle mondiale, à savoir Joe Biden, Emmanuel Macron et Boris Johnson, vont devoir dans les heures et les jours qui viennent, à l’image de ce que John Fitzgerald Kennedy sut accomplir (appuyé sans réserve par Charles de Gaulle) au moment de la crise des missiles de Cuba à l’automne 1962, créer un nouveau rapport de force, affaiblir et simultanément terrifier l’agresseur, et en même temps trouver des voies de désescalade en lui offrant un moyen provisoire de sauver la face.

Confrontés à cette lourde tâche, nous nous devons en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, d’apporter à nos chefs d’Etat respectifs un soutien total dénué de toute ambiguïté, indépendamment de nos préférences politiques personnelles et de nos intentions de votes à l’élection présidentielle d’avril prochain.

Ce soutien peut faire la différence, surtout si nos gouvernants osent le sortir du registre limitatif du compassionnel, s’ils trouvent en eux la force de lui faire écho en agissant avec sagesse au-delà des mots.

N’oublions pas que la population russe nous entend également. Aussi limitées soient-elles, de premières manifestations ô combien courageuses ont déjà eu lieu hier à Moscou et à Saint Petersburg. Même biberonnée à l’école soviétique, la censure ne peut faire taire toutes les voix en provenance du monde extérieur. Et bien que Poutine vienne de sidérer le monde en accomplissant ce que même Staline n’avait osé faire en Europe en dehors des Accords de Yalta (seul Hitler était à ce jour parvenu à annexer unilatéralement des États européens souverains, en 1938 l’Anschluss sur l’Autriche et l’invasion des Sudètes), parions un instant sur le fait que le nouveau Tsar ne souhaite exposer son régime aux foudres de colombes qui ne peuvent se laisser faire.

 

La fin de la discorde chez l’ennemi

 

Première depuis 1972 : la Chine apporte de fait son soutien à son ennemi ancestral russe, bien qu’elle feigne publiquement la neutralité. Mesure-t-on l’énormité de cette donnée du problème ?

Qui oserait aujourd’hui imaginer que Pékin se dise que, décidément, le moment est enfin venu pour elle, opportun de son point de vue, l’Amérique et l’Europe se trouvant embourbées dans un dilemme miliaire et diplomatique inextricable, pour partir à la reconquête de Taiwan par le biais d’une campagne-éclair ?

De la science-fiction ? Le Japon d’Hirohito était arrivé à peu près aux mêmes conclusions en décembre 1941. Et il n’y a pas besoin de remonter si loin dans l’Histoire pour nous confronter à d’inquiétants précédents. Le 20 juillet 1974, le Premier ministre Turc Bülent Ecevit saisit l’opportunité d’une Maison Blanche démonétisée pour cause de Watergate et de démission imminente de Richard Nixon, pour ordonner l’opération Attila visant à prendre militairement le contrôle du nord de l’ile de Chypre. Cette impudence n’a point empêché le leader socialiste d’être reconduit trois fois au pouvoir à Ankara (dernier mandat de 1999 à 2002 !). A ce jour, la partition de Chypre reste toujours effective; la capitale Nicosie étant honteusement traversée par un mur qui malgré la liberté de passage au check-point des rues Ledra et Lokmaci, s’apparente à bien des égards à feu le mur de Berlin.

Pour en revenir aux temps présents, outre le fait que Richard Nixon doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe (nous célébrons très précisément en ce mois de février 2022 le cinquantième anniversaire de sa visite historique à Pékin… l’Histoire vire parfois à la farce tragique…), comprenons bien que dans cette crise l’Occident affronte sa propre solitude. En fait, nous n’avons jamais été aussi seuls depuis 1953. Nous sommes orphelins de notre monde, de nos valeurs, de l’idée que nous nous faisons de l’Homme depuis le Siècle des Lumières.

Mais aussi dur soit le chemin à parcourir, l’orphelin accepte généralement le coût de sa propre résilience, parce qu’il aspire à retrouver l’harmonie du monde qui l’a vu naître.

Notre force reposera sur notre capacité à agir avec discernement, en dosant retenue et fermeté. Difficile mais point impossible, car ici nous faisons nôtres ces mots de Bismarck qui, pourtant, était tout sauf un tendre :

« Quiconque a déjà regardé les yeux émaillés d’un soldat mourant sur le champ de bataille réfléchira sérieusement avant de déclencher une guerre ».


 

Photos : légendes et crédits

 
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Photo n°1 – Exercice militaire russe dans l’Oblast de Nijni Novgorod – © Ministère de la Défense de la Fédération de Russie – Creative Commons Attribution 4.0 International

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