Rédactionnel.
Il est des livres à placer entre les mains des plus jeunes. Surtout lorsque ces fictions inspirées de faits réels décortiquent la mécanique par laquelle le péril brun peut revenir…
Télécharger le texte de l’analyse.
L’obéissance passive, pour ne pas dire l’aveuglement du peuple allemand durant les années quarante face aux exactions des nazis, laisse incrédule une classe de lycéens américains des années quatre-vingt. Un de leurs professeurs tente alors une expérience pédagogique visant à leur démontrer que, malheureusement, l’Histoire peut se reproduire. Cette expérimentation va vite, très vite, devenir hors contrôle…
La vague, c’est le nom de cette démarche présentée initialement, modestement et fallacieusement, comme susceptible de ramener un peu d’ordre et de discipline au sein de la classe. Or cette vague s’avérera être en fait une véritable déferlante, un tsunami qui emportera tout sur son passage en moins d’une semaine.
La force du roman de Todd Strasser ?
Premièrement et c’est le point essentiel qui devrait nous alerter, il s’inspire d’une histoire vraie, certes romancée, mais assez proche de la réalité : l’étude expérimentale du fascisme menée par le Professeur Ron Jones en avril 1967 à Palo Alto (Californie), auprès de l’une de ses classes de première.
Ensuite, ce livre qui interpellera bien évidemment les adultes, dispose de tous les atouts pour que le jeune public se l’approprie. Extraordinairement concis (153 pages au format poche), l’ouvrage développe une intrigue non dénuée de suspense, qui se déroule dans l’environnement naturel de la jeunesse, le lycée, au sein d’une bande de copains auxquels ils peuvent facilement s’identifier.
En utilisant une logique similaire au chef d’œuvre de William Golding Sa Majesté des mouches pour révéler à travers le monde de l’adolescence tous les ressorts comportementaux insidieux qui conduisent au fascisme, La Vague fait partie de ces livres initiatiques, à l’image de La Ferme des animaux de George Orwell, que l’on se doit de faire découvrir aux plus jeunes, afin d’éveiller leur conscience et de les mettre en garde sur la nécessité de préserver leur libre-arbitre.
Car sans dévoiler la chute du roman, sa moralité se résume en une seule phrase : ne jamais tenter de jouer à l’apprenti-sorcier surtout dans le domaine des idées. On en ressort toujours perdant.
L’égalitarisme sectaire obtenu par l’abdication volontaire des libertés individuelles, finit toujours par la stigmatisation d’autrui, la haine d’un autre quel qu’il soit, projeté à la périphérie du groupe. Et c’est par ce processus de communautarisation construite autour de valeurs exaltées et au final dévoyées, doublée de l’exclusion catégorielle des récalcitrants et autres réfractaires, que malheureusement les hommes empruntent le chemin du totalitarisme, parfois sans même s’en rendre compte, ce qui est peut-être le plus inquiétant, surtout au regard de ce qui se trame actuellement en Occident.
Nous ne devrions jamais l’oublier.
L’auteur a vendu 20 millions d’exemplaires imprimés à travers le monde de l’ensemble de son œuvre, La Vague, traduite en quinze langues, représentant son plus gros succès commercial, au point de faire l’objet de multiples adaptations télévisuelles et cinématographiques, en Allemagne comme aux États-Unis : le téléfilm américain réalisé par Alexander Grasshoff (Peabody Award 1981), le film allemand de Dennis Gansel (Prix de Bronze 2008 du Deutscher Filmpreis, l’équivalent de nos Césars, par ailleurs nommé au Festival américain du film indépendant de Sundance créé par Robert Redford), et plus récemment la série en six épisodes Nous la Vague diffusée depuis 2019 sur Netflix. Si cette dernière prend plus que de très grandes largesses par rapport au roman originel, elle a au moins le mérite de replacer le sujet dans le contexte bien actuel et distinctif de la jeunesse, du développement viral de la radicalité politique à travers les réseaux sociaux.
Outre-Rhin, depuis les années quatre-vingt, ce roman est fréquemment utilisé par des enseignants du secondaire comme support de cours, pour tenter d’analyser avec discernement l’une des heures les plus douloureuses de leur Histoire.
En France, pays des Lumières et des Droits de l’Homme, il aura fallu attendre vingt-sept ans – oui, vingt-sept ans ! – pour qu’un éditeur, en l’occurrence Jean-Claude Gawsewitch dont il convient de saluer ici le courage, se risque à publier une traduction francophone.
Ne serait-il pas temps que nous mettions en cohérence notre publication en matière de littérature étrangère, avec l’image qui façonne le respect dont notre pays fait l’objet à travers le monde ?
Avec des figures de proue comme Pierre Boulle (La Planète des Singes) qu’Hollywood a popularisé au-delà des frontières, notre production littéraire toujours prompte à dénoncer l’arbitraire – à condition qu’elle dénonce vraiment et sans exception tous les arbitraires – n’a rien à envier aux anglo-saxons écoles Ray Bradbury ou Ayn Rand, surtout lorsqu’elle s’évertue à ne pas mépriser le grand public. Elle dispose de tous les atouts pour prouver au monde entier, que Voltaire continue de faire des émules à travers les siècles.
Pour en savoir plus – Bibliographie
Todd Strasser, La Vague, Pocket, 1981 (édition originale), 2009 (traduction française au format poche), EAN : 9782266185691, 153 pages (pour plus d’informations : cliquer ici)
Photos : légendes et crédits
Toutes les photos présentement exposées sont libres de droits et/ou tombées dans le domaine public. Dans le cas contraire, les droits pour la présente utilisation ont été dûment et préalablement acquis.
Photo n°1 – Première de couverture du roman La Vague – © 1981 by Random House, Inc. and T.A.T. Communication Company
Photo n°2 – Homme au tableau dans une salle de classe – © PxHere 805839
Photo n°3 – Benito Mussolini et ses partisans durant la marche sur Rome le 28 octobre 1922 – Photographe inconnu