Le brun et le rouge

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 Rédactionnel.

Les très respectés Michèle Cotta et Robert Namias scénarisent l’ubris du monde d’après, tel que voulu par les adeptes d’une révolution, nationale ou populaire, sortie des urnes. Éclairant…

 

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Les bons romans de politique-fiction se lisent comme des thrillers habiles ; les meilleurs visent la supra-catégorie de l’anticipation plausible.

Pour sa deuxième incursion dans le genre, le duo d’observateurs avertis de notre vie politique que forment Michèle Cotta et Robert Namias, se place délibérément dans ce second registre, en osant envisager l’impensable : une victoire de l’extrême-droite à l’élection présidentielle française. Peut-être pas tout de suite, mais en tout cas dans un proche avenir.

Connaissez-vous Charlotte Despenoux ?

Certainement pas. En tout cas, pas plus que vous n’avez entendu parler d’un tribun du nom de Malingaud. Et pourtant, ces deux animaux politiques imaginaires font curieusement penser à une certaine Marion Maréchal et à un plus que probable Jean-Luc Mélenchon. Sous la plume des journalistes, ces deux figures hors normes n’hésiteront point à procéder au mariage de la carpe et du lapin, dans l’espoir de liquider légalement le système politique qu’elles vouent gémonies. A ce jeu-là, il ne peut y avoir qu’un seul et unique vainqueur, et pas forcément celui auquel on pense : petit rappel suffisant pour éviter de « spoiler » l’intrigue comme diraient les amateurs de séries.

Lisez ce livre.

Ne serait-ce pour la simple et bonne raison qu’il ne s’inscrit aucunement dans l’invraisemblance. Il fait bien plus qu’illustrer la réflexion désabusée du héros du débarquement Bernard Montgomery, qui percevait l’affrontement politique comme une guerre en pire. Privilégiant le réalisme aux grosses ficelles des intrigues à suspense, l’ouvrage tente à partir de points de départ ancrés dans notre histoire politique immédiate, de représenter ce à quoi notre futur pourrait malheureusement ressembler.

Une présidente élue à seulement 300.000 voix qui sous couvert d’une douceur et d’une empathie de façade, aspire bel et bien à changer la société et s’y active à pas feutrés. Une présidente qui tactiquement installe à Matignon un ancien patron de la droite parlementaire, dont les références au gaullisme n’auront finalement été qu’un faire-valoir électoral. Une présidente qui gagne les législatives, démonétise politiquement ceux qu’elle étreint avec de très séduisants strapontins ministériels, mais qui va très vite se trouver dépassée par les événements dont elle est pourtant bel et bien l’instigatrice, consciemment ou non. Vieille loi de la politique à laquelle Charlotte Despenoux ne peut comme tant d’autres avant elle résister : la baraka des premiers jours ne durent qu’un temps.

Au fil des 388 pages, l’angle fictionnel libère la prose du duo Cotta-Namias qui se transforme en véritable lanceur d’alertes. Mais pas n’importe lesquelles, et c’est sur ce point précis que le livre atteint un degré de crédibilité jusque-là inégalé. Au lieu de virer au procès d’intention pamphlétaire auquel se prête si facilement (et peut-être de manière contre-productive) la dénonciation des extrêmes, les auteurs préfèrent plus sagement mettre le doigt sur trois grandes vérités de la science politique :

1La connivence idéologique entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche génère des majorités de circonstance. La radicalité politique suit en effet la même règle que la polarité des aimants : les contraires s’attirent. Extrême-gauche et extrême-droite se retrouvent l’une comme l’autre, sans le moindre état d’âme, dans la même adoration de la coercition, et dans une propension partagée à désigner des boucs-émissaires : les nantis pour les uns, les immigrés pour les autres.

Aux heures les plus sombres, cette collusion sidéra le monde entier à travers le coup de tonnerre du pacte germano-soviétique d’août 1939. Quelques mois plus tard, le Maréchal Pétain ne fut pas en reste : il confia au sein du gouvernement Laval, le poste de Ministre du Travail à René Belin, l’ancien secrétaire général de la CGT, un fait historique curieusement passé sous silence… c’est la raison pour laquelle, le scénario à l’italienne envisagé par les coauteurs, autrement dit la version française de l’alliance de 2018 entre le mouvement cinq étoiles et les lombards identitaires de Matteo Salvini, n’a rien de fantasmagorique.

2Les constituions demeurent les digues de dernier recours contre les prises de pouvoir durables. Or dans la précipitation des événements, elles peuvent céder à tout moment sans qu’on y prenne garde, pour ne pas dire dans l’indifférence générale. Les démagogues avides de cadenasser l’accès au pouvoir savent pertinemment que le commun des mortels n’a que faire du sujet de la réforme constitutionnelle, qu’il trouve bien éloigné de ses préoccupations quotidiennes. Et c’est ainsi que vous pouvez assez facilement, surtout dans le climat de béatitude (ou de sidération) propre à tout état de grâce post-électoral, obtenir le quitus populaire autour d’un nouveau cadre institutionnel conçu à votre convenance et dans l’optique de durer. Certes, Trump ne s’y est point risqué. Mais c’était aux Etats-Unis, pays s’il en est où le Droit prime. Et de son côté, Viktor Orbán ne s’est pas fait prier en 2011 pour tenter, avec succès, un tel pari, dans cette fameuse Hongrie que les apôtres de la verticalité du pouvoir fascine.

Alors, impossible en France ? En tout cas aucunement pour la pas si imaginaire que cela Charlotte Despenoux, tacticienne au point de profiter de la torpeur de l’été, afin de consulter les Français sur son nouveau cadre d’organisation des pouvoirs. Nous l’avons bien vu à l’occasion des élections municipales de 2020 où la peur de la contamination au covid a fait fuir plus d’un électeur : même avec 40% de participation, le résultat d’une consultation électorale s’impose à tous sur le plan légal. Dans le genre, n’oublions pas non plus le référendum de 1988 sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, ni celui de l’an 2000 relatif au quinquennat présidentiel : respectivement 36,89% et 30,19% de votants, et dans les deux cas un OUI massif à plus de 70%.

3Chaque majorité dispose de ses propres clivages internes dont le conflit peut préparer le terrain au triomphe ultérieur d’une ligne encore plus dure. En quête de respectabilité depuis plus de dix ans, l’ancien mouvement de Jean-Marie Le Pen a beau prétendre avoir fait le ménage, disposer d’une aile-gauche composée de personnalités socialement présentables – souvent des transfuges d’ailleurs – de Thierry Mariani (ex-RPR) à Gilbert Collard (ex-socialiste passé depuis chez Eric Zemmour) en passant par Robert Ménard (ancien président de Reporters sans Frontières), il y aura toujours tapis dans l’ombre, plus à droite que Marine et même plus conservateur que Marion. Or aucun cartel majoritaire ne manque d’ultras en son sein, à même de dénoncer, opportunément, le moment venu, à mesure de l’usure, la prétendue lenteur du prince, ou plus explicitement sa trahison des espoirs – tristes espoirs – nés aux glorieux temps de la conquête. Même Robespierre dut au firmament de la Terreur, composer avec la frange jusque-boutiste de ses propres troupes, en l’occurrence son aile gauche, qui dans sa version plébéienne avec Hébert ou aux manettes avec Couthon, le faisait passer pour un modéré.

Laver plus blanc que blanc reste très certainement le plus vieux et le plus lucratif des fonds de commerce politiques. Lorsqu’il ne se cantonne plus aux bas-fonds de la vie militante, lorsqu’il se trouve exploité par ne serait-ce qu’une poignée d’occupants, même marginale, des sphères de pouvoir, cet atout en manche peut à tout moment devenir l’arme décisive visant à rejeter l’ancienne égérie au centre, la disqualifier de ce fait auprès de ses thuriféraires et par là-même impulser une révolution de palais de sinistre augure. Grand classique du genre que cette stratégie de prise du pouvoir par la branche extrême, particulièrement prisée, de Lénine à Khomeini, par les vrais idéologues, les plus féroces. Pas les cyniques de pacotille à la poursuite des attributs du pouvoir. Non, les porte-drapeaux exaltés qui aspirent à construire un homme nouveau, avec toutes les folies que ce sombre dessein suppose.

Dans le chaos que dépeint Le brun et le rouge, cette menace prend le nom d’un énigmatique Monsieur Gorge. Force est d’admettre qu’arrivé au dernier quart du livre, le lecteur n’a soudainement plus trop envie de continuer à jouer au jeu du Qui est qui ? auquel invitait jusqu’alors assez spontanément la galerie de personnages plus vrais que nature, que forment les Pierre Lassry, François Berlaud et autres Pierre Mazaudet, nés non pas de l’imagination de Michèle Cotta et Robert Namias, mais de leur observation. Le lecteur prend soudainement conscience qu’il ne joue plus à se faire peur, mais que deux fins connaisseurs de la politique comme de ses leurres, viennent peut-être de lui rappeler ses devoirs d’électeur.

 

Pour en savoir plus – Bibliographie

Michèle Cotta et Robert Namias, Le brun et le rouge, Robert Laffont, octobre 2020, ISBN 978-2-221-24321-3, EAN 9782221243213, 387 pages (pour plus d’informations : cliquer ici)

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Photos : légendes et crédits

Toutes les photos présentement exposées sont libres de droits et/ou tombées dans le domaine public. Dans le cas contraire, les droits pour la présente utilisation ont été dûment et préalablement acquis.

Photo n°1 – Première de couverture du roman Le brun et le rouge – © Robert Laffont

Photo n°2 – Marion Maréchal s’exprimant lors de la Conférence d’action politique conservatrice (CPAC) 2018 à National Harbor, Maryland – © Photographe : Gage Skidmore

Photo n°3 – Jean-Luc Mélenchon à la manifestation contre la réforme des retraites, Paris, le 10 septembre 2013 – © Utilisateur de Flickr ActuaLitté

Photo n°4 – René Belin, Ministre du Travail durant le régime de Vichy – Photographe inconnu

Photo n°5 – Viktor Orbán au Sommet de Tallinn le 28 septembre 2017 – © Présidence estonienne du Conseil de l’Union Européenne

Photo n°6 – Le héros allemand de la Première Guerre mondiale Erich Ludendorff et Adolf Hitler, co-inculpés, lors de leur comparution en 1924 au procès des instigateurs du putsch de Munich – © Photographe : Heinrich Hoffmann – Archives fédérales allemandes – Attribution : Bundesarchiv, Bild 102-00344A / Heinrich Hoffmann / CC-BY-SA 3.0

Photo n°7 – Le penseur face aux forces de l’ordre – Pixabay 2602626 – © Engin Akyurt

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