Un réveil heureux mais soucieux

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 Rédactionnel.

Ayant réédité l’exploit électoral jusque-là inégalé de Silvio Berlusconi, Emmanuel Macron deviendra-t-il un nouveau Félix Gaillard ou Ramsay MacDonald ? A vous d’en décider…

 

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Le lundi 8 mai 2017, la France s’est réveillée un peu plus légère et en même temps circonspecte.

Une France un peu plus légère parce que, même si le suspense fut tout sauf insoutenable, la défaite de Marine Le Pen s’est avérée plus nette que prévue. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les Français ont fait, non dans leur unanimité, mais dans une très large majorité, échec à la mystification que proposait l’héritière du Front national : un discours fracturant le dénominateur social déjà bien fragilisé, doublé de propositions économiques qui n’auraient probablement pas déplu à Hugo Chavez. Bref, un communisme de droite qui vire à l’impasse.

Notre réveil fut d’autant plus agréable, qu’à l’image de l’Allemagne en 2005 ou des Etats-Unis en 2008, nous venons de porter à la tête de notre Etat, un leader issu d’une catégorie de la population sous-représentée dans le paysage politique habituel. L’Allemagne avait alors choisi en la personne de Madame Merkel, une femme qui plus est native de l’ex-RDA ; les Etats-Unis à travers Barack Obama pour la première fois un homme noir : la France a quant à elle décidé de donner ses faveurs à un citoyen de moins de quarante ans.

Alors certes, gardons-nous bien de choisir ceux qui nous gouvernent essentiellement sur la base de leur appartenance sociologique. Prendre cette pente glissante est le moyen assuré de ne plus jamais débattre du fond, et de transformer les élections en mascarade de télé-réalité.

Mais tout de même : la bonne nouvelle, c’est qu’à partir de ce dimanche 7 mai 2017, on ne pourra plus reprocher aux Français leur prétendu manque de confiance envers leur jeunesse, comme naguère aux Allemands une propension tout aussi discutable à la phallocratie, ou aux Américains une conception raciale de gouvernance.

En ce sens, l’élection d’Emmanuel Macron diffuse à travers le pays un air des plus agréables, un air fort opportunément vivifiant, que l’on apprécie ou non l’homme et/ou son parcours, que l’on adhère ou pas à son projet politique. En outre, comme il faudra une force herculéenne pour tenter de résoudre même en partie, les maux qui affectent notre pays, pour une fois, les vœux de bonne chance adressés au nouveau président, retrouvent au-delà du rituel tout leur sens.

 

Ces précédents historiques qui nous laissent entrevoir l’avenir

 

Ces bonnes raisons, objectives, de se réjouir ne doivent pas pour autant nous conduire à une quiétude béate et naïve. Loin de là, tant l’élection d’un homme profondément inattendu nous place devant l’inconnu, à un moment où notre pays avait besoin d’un peu de certitude et d’expérience pour redresser la barre.

Depuis la Seconde Guerre Mondiale, seul un pays au monde, parmi l’Occident riche, démocratique et développé, a jusqu’à présent vu un homme, jamais élu auparavant, parvenir jusqu’au pouvoir suprême, son ascension ayant été rendue possible par la construction de toute pièce en moins d’un an, d’une start-up électorale destinée à combler le vide généré par l’effondrement des partis traditionnels d’un régime à bout de souffle.

Il s’agit du précédent Italien de 1994. Celui par lequel Silvio Berlusconi bâtit en quelques mois sa machine de guerre Forza Italia sur les ruines encore fumantes de la démocratie chrétienne qui, corrompue, avait sombré avec la Première république italienne. De cet espoir d’une gouvernance italienne plus entrepreneuriale et réconciliée avec la modernité, on a vu ce qu’il en est finalement advenu.

Certes Emmanuel Macron n’est pas Silvio Berlusconi. Avec l’appui de son parti dont on ne sait pas grand-chose, il peut peut-être devenir une version française de Tony Blair, Bill Clinton, Gerhard Schröder ou Lula, mettant en œuvre dans les faits la politique économique de ses adversaires de droite. Si d’aventure la Présidence 2017-2022 choisissait cette option de l’ardeur réformatrice, personnellement, j’en serais heureux pour mon pays et en même temps triste pour ma famille politique, Les Républicains.

Ramsay MacDonald

Ramsay MacDonald

Encore faut-il que le nouveau Président de la République souhaite réellement prendre ce cap politique. Sur ce point, qui d’entre nous se trouve dans le secret des dieux et peut de ce fait en être réellement certain ? Et une fois ce prérequis rempli, il faudrait ensuite qu’Emmanuel Macron se retrouve politiquement et institutionnellement en situation d’accomplir une telle mue de la gauche gouvernementale vers le réalisme économique. Et cela, rien n’est moins sûr.

Deux analogies historiques, un peu oubliées avec le temps, mais tout à fait pertinentes par rapport à la situation présente, peuvent nous aider à percevoir l’horizon au-delà des brumes de l’inconnu et envisager un tant soit peu l’avenir.

Emmanuel Macron peut suivre une trajectoire à la Félix Gaillard, du nom de l’avant dernier Président du Conseil de la Quatrième République, devenu en 1957 à l’âge de 38 ans le plus jeune chef de gouvernement de l’histoire de France.

Ex-directeur de cabinet de Jean Monnet, promis à un brillant avenir et perçu à l’époque comme l’ultime chance de régénérer à travers la jeunesse un régime finissant, Félix Gaillard fort de ces attentes mais sans majorité parlementaire, forma un gouvernement porteur de biens des espoirs… un gouvernement qui fut renversé au bout de cinq mois seulement !

Depuis lors, malgré son intelligence indiscutable, plus personne n’entendit parler de Félix Gaillard durant toute la République Gaullienne, alors que pourtant il fut systématiquement réélu député jusqu’à sa mort en 1970. Comme Emile Ollivier un siècle plus tôt arrivé l’année précédant la chute du Second Empire, Félix Gaillard apprit à ses dépens qu’en politique il ne faut jamais être jeune ni réformateur trop tôt, si la matrice du système qui vous porte au pouvoir est déjà dépassée.

A l’inverse, Emmanuel Macron peut connaître un destin similaire à celui de Ramsay MacDonald, premier Premier ministre travailliste du Royaume-Uni. Homme sans background universitaire, authentiquement socialiste de conviction (peut-être même plus que Jaurès – son premier gouvernement comptait pas moins de dix ministres issus de la classe ouvrière), MacDonald marqua profondément l’histoire britannique, en terrassant définitivement le parti Libéral-Démocrate du héros national Lloyd George, et surtout en aidant son pays à traverser la Grande Dépression des années trente, tout ceci… en gouvernant pendant quatre ans grâce à l’appui majoritaire à la Chambre des Communes, du Parti Conservateur, autrement dit la droite de sa Majesté. Un socialiste à la tête des affaires de la Nation, qui réforme grâce à l’appui de la droite : il n’y avait que nos amis anglais pour inventer une telle bizarrerie politique, surtout lorsqu’elle marche !

Et pourtant, quatre-vingt-six ans plus tard, nous allons peut-être en France suivre le même chemin.

C’est à vous maintenant d’en décider, de par votre vote aux prochaines élections législatives.

 

La cohérence Elysée-Assemblée : une règle d’or momentanément levée

 

Dans l’esprit de ses concepteurs, la Cinquième République visait à la présidentialisation de la gouvernance publique. Cependant – et il ne faut jamais l’oublier – la rédaction de notre constitution fut le fruit d’âpres négociations avec les caciques du régime précédent.

Des tractations qui ont donné à Matignon la primauté sur l’Elysée en termes de réalité du pouvoir exécutif, dans le cas où le corps électoral choisit une majorité parlementaire différente de la famille politique du Président de la République.

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Alors oui, en 1958, l’argument visant à donner au Président une majorité cohérente, tenait, dans la mesure où – et il le prouva par la suite – Charles de Gaulle se serait démis immédiatement de ses fonctions, s’il s’était retrouvé indirectement confronté à un désaveu électoral aux législatives ou à l’issue d’un référendum.

Mais en 2017, avec non plus Charles de Gaulle mais Emmanuel Macron, peut-on en dire autant ?

Quelle que soit la réponse personnelle que l’on peut apporter à cette question, reste au moins un fait réel, tangible et indiscutable : de par son casting final, l’élection présidentielle française de 2017 s’est transformée à partir du 23 avril au soir, en un référendum pour ou contre Marine Le Pen.

C’est ce qui a fait que bien des femmes et des hommes de droite modérée – dont je fais partie parmi tant d’autres – privés au second tour de leur candidat naturel, ont dû se résigner à appeler à voter au deuxième tour pour Emmanuel Macron. Et c’est aussi la raison pour laquelle le score du Président in fine élu ne peut certainement être considéré comme une adhésion massive et unanime à son projet politique, mais juste comme un rejet déterminé de son adversaire, ce qui ne correspond pas tout à fait à la même réalité.

A la Présidentielle, nous avons choisi uniquement une personne sur la base des deux seuls candidats qui restaient en lice. Aux législatives, nous choisirons un contrat de gouvernement, en fonction de convictions, de réformes et d’orientations précises, un déterminant d’arbitrage totalement différent.

 

Programme contre programme

 

De par mon profond respect pour celles et ceux qui me font l’honneur de me lire ou de m’écouter, je me dois d’être d’une rigueur et d’une honnêteté intellectuelle totale. Gaulliste pour les questions qui touchent à la Nation, libéral en ce qui concerne la politique économique, j’ai pris le temps ce lundi 8 mai 2017, par sens du devoir citoyen, tout simplement pour ne pas rester enfermé dans mon cadre de pensée, de lire en détail le programme de notre nouveau Président de la République, programme que vous avez certainement du vous-même recevoir en avril dans votre boite aux lettres, ou qui vous a été remis sur les marchés.

Je vais être très sincère. Sur les dix-sept pages qui forment ce manifeste, je n’ai trouvé aucune absurdité crypto-marxiste, rien qui puisse faire bondir un chef d’entreprise désireux de voir l’économie française gagner en confiance et compétitivité. Un Nicolas Sarkozy aurait très bien pu porter un tel agenda de réformes, et soyez assurés que la CGT et SUD s’en souviendront très probablement dans les prochains mois.

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Mais l’économie ne forme pas l’intégralité d’un projet d’action gouvernementale. Il y a également la pratique institutionnelle, les réformes de société et bien d’autres sujets encore, dont la variété fait que l’exercice de l’Etat ne se résume pas de manière désincarnée et restrictive, à de la gestion budgétaire publique dénuée de sens. Si vous vous considérez comme une personne de droite, comme un modéré, un centriste, je vous invite à lire le volet non économique du programme d’En Marche, pour que vous puissiez vous forger librement, par vous-même, votre propre opinion.

Je vous invite également à prendre connaissance et à analyser tout ce qui curieusement, n’a pas été écrit noir sur blanc dans ce programme imprimé, et qui pourtant vaut engagements électoraux de la part de notre nouveau président, au regard du fait qu’ils ont été réaffirmés haut et fort à deux jours du second tour de la présidentielle. Je vous conseille tout particulièrement une écoute attentive de l’interview du candidat Emmanuel Macron en date du vendredi 5 mai 2017 à RTL matin. Précisément à la minute 11 suivie de 20 secondes, ce qui vous donnera une idée assez précise de ce qui s’annonce et qui peut potentiellement déstructurer durablement l’œuvre majeure du Général de Gaulle, à savoir la stabilité démocratique de l’exécutif, qui restait jusqu’à présent à peu près l’une des rares choses qui politiquement fonctionnaient encore en France.

Pour ma part, à un bricolage idéologique accompli en toute hâte pour sauver les meubles d’une chapelle discréditée, je préférerai toujours la cohérence, la solidité et l’authenticité, d’un contrat de gouvernance porté par une famille politique qui sait d’où elle vient.

Par expérience, en politique comme tout simplement dans la vie, l’original fonctionne toujours mieux que la copie ; la clarté raisonnée demeure préférable au flou artistique.

Durant les six prochaines semaines, des candidats aux législatives vont essayer à travers tout le pays de faire émerger une majorité parlementaire Les Républicains, visant à mettre en œuvre dès la fin du mois de juin, un ensemble de réformes, qui jusqu’à présent ne s’est fait que trop attendre et qui représente la synthèse pertinente, au demeurant plus consensuelle, des efforts de réflexion programmatique accomplis pendant trois ans par Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon, avec leurs équipes respectives. Jamais au cours des cinquante dernières années un programme de gouvernement n’avait été en France aussi travaillé, sous le haut patronage du précédent Chef de l’Etat et de deux anciens premiers ministres. C’est à celles et ceux qui défendront ce projet devant vos suffrages, qu’ira tout mon soutien, plein et entier.

 

Vaincre le Parti de la Colère

 

Permettez-moi un dernier point ô combien capital. Là, je m’adresse plus spécifiquement à mes amis qui ne partagent pas mes opinions, celles et ceux qui se situent plutôt à la gauche de l’échiquier politique, et dont je respecte profondément la sincérité de leurs convictions.

Mon souhait personnel de voir Emmanuel Macron obtenir une tout autre majorité parlementaire que celle qu’il espère, est guidé par une inquiétude d’une autre gravité, que la simple volonté de mettre en œuvre tout de suite un certain nombre de réformes économiques importantes : ne jamais – je dis bien jamais – voir le Front National accéder un jour au pouvoir.

Or aussi belle que puisse-t-être l’idée de rassembler à un moment donné toutes les personnes compétentes et de bonne volonté, de Monsieur Valls à Monsieur Estrosi, cette utopie quelque peu saint-simonienne conduirait de facto à créer un parti unique, le Parti de la Raison, dont la seule finalité consisterait à s’opposer au Parti de la Colère.

Or l’histoire nous offre malheureusement suffisamment d’exemples, pour nous montrer, que les partis uniques, mêmes portés par les meilleures intentions du monde, conduisent toujours au Pire. L’échec de leur confrontation à la réalité de l’exercice du pouvoir – non point inévitable mais fort probable – est le plus sûr moyen de porter à la tête de l’Etat le coup d’après, leur opposant unique, le Parti de la colère. Et cela, je n’en veux pas pour 2022.

Rappeler cette réalité historique n’est point faire injure à notre nouveau Président de la République, ni à la bienveillance de ses intentions (que je ne peux comme vous que présumer), ni encore moins à la sincérité de l’espérance de celles et ceux qui le soutiennent.

Voyez-y simplement la prudence, la vigilance, d’un simple citoyen qui tout en souhaitant que cette nouvelle présidence nous permette collectivement de nous diriger vers le mieux, ne tient aucunement à ce que le pari, très tentant, de l’uniformité politique ne fasse porter au pays, à terme, le risque surdimensionné que celui-ci implique.

La France qui en deux siècles s’est relevée de toutes les calamités que le destin avait placé sur son chemin, est trop belle pour que nous la mettions un jour, par inadvertance, en situation de s’offrir aux extrêmes.

 

 Pour approfondir – Liens externes

Interview d’Emmanuel Macron sur RTL matin en date du vendredi 5 mai 2017 (propos relatifs à la proportionnelle débutant à 11m10s)

 

Crédits photos

Photo d’Emmanuel Macron : © Copyleft
Photo de Félix Gaillard : © Minefe. Service des archives économiques et financières
Photo de Ramsay MacDonald : © Library of Congress – Bain News Service
Photo de Silvio Berlusconi : © La Moncloas
Photo de l’Assemblée Nationale française : © photographe : Pol
Visuel « Vote » : © Google images – auteur inconnu
Photo de La Liberté guidant Le peuple d’Eugène Delacroix : © Erich Lessing Culture and Fine Arts Archives via artsy.net

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