Rédactionnel.
La justesse de ton et l’économie des mots s’imposent à l’annonce du terme d’une épreuve. Le Président de l’époque offrit cet écrin à la manifestation d’un incommensurable soulagement national…
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Lorsque nous nous recueillerons aujourd’hui dimanche 11 novembre 2018 devant l’un des monuments aux morts des 36.000 communes de France, il nous sera pratiquement impossible de nous représenter mentalement l’explosion de joie, l’intensité d’un bonheur communié qui, il y a cent ans jour pour jour, a dû faire chavirer le cœur de nos aïeux.
Quand pendant quatre ans, chaque jour en moyenne 1.000 jeunes français dans la fleur de l’âge tombaient au front, le soulagement de la population à l’annonce de la fin des hostilités ne pouvait qu’être absolu, sans comparaison possible.
On ne rappellera jamais assez ces chiffres : pour le seul côté français, 1,4 million de morts, 1,9 million de blessés soit 30% de la population active masculine (18-65 ans), 8 millions de conscrits. Sans oublier – un fait pas si anecdotique que cela quand on évoque le courage en politique – un tiers des parlementaires appelés sous les drapeaux. Personne n’y a échappé. Toutes les familles de France furent touchées, eurent à pleurer l’un des leurs, ou dans le meilleur des cas durent vivre dans l’angoisse dévastatrice qu’un frère, un fils ou un père, puisse être à tout moment terrassé par une balle ennemie en Somme ou Moselle.
Alors oui, le 11 novembre 1918 fut un jour où les larmes de bonheur engendrées par la fin de l’épreuve, se mêlèrent aux larmes d’une tristesse incommensurable au simple souvenir de ceux qui ne reviendraient jamais de l’enfer sur terre.
Le 9 novembre, à l’annonce de l’abdication du Kaiser, les Français comprirent que l’atrocité arrivait à son terme ; deux jours plus tard, le 11 novembre, le monde entier reprit confiance en l’humanité, à la vue d’une Europe qui enfin mettait un terme à l’extermination de fait de sa jeunesse.
Les mots que choisit alors le Président de la République, Raymond Poincaré, peuvent à première vue paraître trop factuels, trop froids, pour décrire l’enthousiasme qui dut gagner la population française en cette journée unique dans toute l’Histoire de l’Europe. Faut-il y voir la réserve du Lorrain, celle du juriste que fut notre Président durant toute la Grande guerre, emprisonné dans l’impuissance politique résultant d’institutions inadaptées ?
En fait, c’est tout le contraire. Rien de mieux qu’une observation factuelle, pour souligner l’irrationalité d’un sentiment puissant qui parcourt soudainement une population retrouvant espoir. Car effectivement, le 11 novembre 1918, Paris est bel et bien en joie, en fièvre, en délire. Comme le décrira Léon Daudet, le Président du Conseil (le Premier ministre) Georges Clemenceau, le Père la Victoire « emporté par les remous de la foule » à son retour de l’Assemblée nationale où il venait de lire les conditions de l’armistice acceptées par l’Allemagne, témoignera tout autant que Raymond Poincaré, de cette ferveur populaire devenue incontrôlable :
« Ce fut affreux. La foule assaillit ma voiture. Par grappes, les gens s’y accrochaient : des hommes, des femmes me tendaient leurs petits (…) Ils me louaient : étais-je donc digne d’éloges ? ». Bien évidemment oui.
A la joie exaltée des Français du 11 novembre 1918, répondent aujourd’hui la gratitude et le recueillement unanimes des Français du 11 novembre 2018. Lorsqu’au sein d’une même population, deux sentiments universels se font mutuellement écho à un siècle d’intervalle, ce phénomène a un nom : le ferment national. Dans ce qu’il y a de plus beau, de plus noble, de plus généreux.
Photos : légendes et crédits
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Photo n°1 – Raymond Poincaré en 1914 – © Bibliothèque du Congrès des États-Unis d’Amérique – Harris & Ewing.